« Ruby, où vas-tu encore avec tout ça ? » « Chez Aislinn, Granny, tu ne vas pas recommencer à surveiller mes allées et venues ! » « On ne sait jamais avec toi, avec tous ces garçons avec qui tu flirtes… » « Alors toi, toujours à exagérer ! » soupira Ruby en fourrant son pyjama dans son sac avant de le balancer sur son épaule. Rien d’inhabituel dans cette scène de vie des Colins grand-mère et petite-fille, dont l’occupation principale consistait à se chamailler avec plus ou moins de mauvaise foi. Sautant de son lit, la jeune femme attrapa une baguette chinoise dans le vase qui lui servait de porte-baguettes et barrette et d’un geste adroit noua ses longs cheveux noirs en chignon et piqua la baguette dedans pour les faire tenir. Ouvrant ses tiroirs à la volée, elle jeta plusieurs t-shirts et chemises par-dessus son épaule sans se soucier du bazar occasionné –bazar était de toute façon son second prénom- avant de trouver quelque chose de mettable pour le lendemain matin et referma le compartiment d’un geste sec avant d’attraper son portable sur son bureau et d’envoyer un texto à son amie :

« Attention, j’arriiiiiiive ! »

Refermant le clapet du téléphone avec un sourire satisfait, elle balança en vrac brosse à dent, dentifrice, paquets de gâteaux piqués dans la réserve et menu de la pizzeria pour commander, avant de refermer la fermeture éclair et d’enfiler son manteau rouge reconnaissable à dix kilomètres de distance. Puis, embarquant ses affaires après avoir jeté un dernier regard dans le miroir pour vérifier qu’elle était présentable, elle sortit en trombe de sa chambre et dévala les escaliers en courant.

« Ne rentre pas trop tard demain, je te rappelle qu’on ouvre à neuf heures ! » lui lança Granny alors qu’elle s’apprêtait à quitter le restaurant.
« Ouiiiiiii Granny, je serai là pour l’ouverture ! Bye bye ! » s’exclama joyeusement Ruby en se retournant à peine pour lui souffler un baiser de la paume de sa main. Enfin, elle fut dans la rue.

Le froid mordit ses longues jambes nues, puisque comme d’habitude elle refusait de porter des collants sous son mini-short carmin, mais toute à sa bonne humeur, elle le sentit à peine. Gambadant joyeusement jusqu’à l’arrêt de bus, Ruby songea de nouveau à Aislinn et son invitation, le matin même, à venir passer la nuit chez elle pour une soirée entre filles pour oublier les remous de ces derniers jours. Cette pluie étrange leur avait à tous sacrément remué les neurones, et au détour d’une conversation les deux jeunes femmes s’étaient rendues comptes qu’elles n’avaient pas fait exception à la règle. Ruby depuis souffrait de cauchemars récurrents, toujours plus réalistes et terrifiants qui la faisaient se réveiller en pleine nuit en retenant un cri de terreur au fond de sa gorge, les mains tremblantes, avec un terrible mal de tête et des courbatures dans tout le corps. Elle avait songé à aller consulter Archie, mais pouvait-elle le déranger pour si ce qui, au matin, avait l’air d’être si peu, alors qu’il avait tellement de travail ? Non, elle n’allait pas lui causer du souci supplémentaire… Même si, la nuit venue, l’angoisse était parfois telle qu’elle n’arrivait plus à fermer les yeux. Ruby soupira. Elle aurait bien le temps d’en parler avec Aislinn ce soir ; ou au contraire, de passer une bonne soirée entre copines et s’endormir sans y penser. Peut-être même que la compagnie de son amie lui permettrait d’y échapper.

Quelques minutes plus tard, elle arriva devant le manoir où vivait la jolie rouquine. Un sourire rayonnant revint illuminer son visage alors qu’elle appuyait sur la sonnette et entendait les pas trottinants de la demoiselle derrière la porte. Lorsque celle-ci s’ouvrit, Ruby sourit de toutes ses blanches dents et s’exclama joyeusement :

« Et bonsoiiiir ! Alors, toujours partant pour notre ‘girls night’ ? »