Le soleil brillait dans le ciel et se réfléchissait sur la fine couche de neige qui recouvrait le sol. La forêt entière semblait sommeiller, dénudées de toute ses feuilles. Seul les hauts conifères et quelques buissons venaient apporter une touche de vert à ce paysage blanc et gris. Les branches des arbres étaient chargées de neige, et les oiseaux n'étaient pas assez nombreux à chanter pour couvrir le sifflement du vent. Vent qui faisait tournoyer les flocons de neige tombant du firmament tout blanc. Quelques empreintes de renards, de biches et de petits oiseaux venait briser la fragile perfection du tapis neigeux.

D'autre trace de pas, plus grosses et plus profondes, mais surtout plus humaines, à moité effacé par quelque chose qui avait ensuite glissé par-dessus, partaient en direction du bois. Une forme humanoïde marchait dans la neige, emmitouflée dans d'épaisses capes. Quelques cheveux blonds s'échappait de la capuche qui avait été rabattue sur un visage où se mêlaient encore l'enfance et la maturités. La princesse Aurore avait décidé de se changer un peu les idées, de prendre l'air. Et pour ce faire, quoi de mieux que de retourner au pays de son enfance ? Pays était peut-être exagéré, disons plutôt ''forêt''.

La jeune femme avait ressentit le besoin de faire une pause. Courir partout, affronter mille dangers... C'était nouveau. Elle qui avait passé dix-huit ans élevée au milieu d'un bois dans une petite chaumière par ses trois marraines, apprenait soudainement qu'elle était une princesse, que ses marraines étaient des fées et qu'elle allait être mariée à un prince. C'est déjà un choc, surtout quand vous êtes tombée amoureuse d'un bel inconnu avec qui vous aviez rendez-vous le soir mais que, finalement, vous ne reverrez jamais ! Et puis vous arrivez dans ce château immense, avec une couronne sur la tête. Et vous apprenez que, oui, vous venez bien de là. Pire encore ! A moitié ensorcelée, vous suivez une boule de lumière verte (le vert est-elle la couleur assigné aux méchants ?), et vous vous piquez le doigt pour tomber dans un sommeil qui est censé durer une centaine d'année. Heureusement, votre Prince vous libère bien plus tôt que prévue ! Mais vous savez quoi ? Entre temps, pendant que vous piquiez un roupillon, une méchante reine a lancé une terrible malédiction qui a propulsé beaucoup de vos compagnons du merveilleux monde des contes dans la vie réelle. Tout ça en, aller. Quelques jours, si on oublie le long dodo de la belle ? Alors comprenez un peu que toutes ces informations, tous ces chamboulement en si peu de temps pour une jeune femme – fille ? - qui a passé sa vie à chanter au cœur de la forêt, ça peu faire un peu beaucoup. C'est donc une réaction tout à fait normal que de vouloir s'aérer l'esprit, réfléchir à tout ça, non ?

Aurore retrouva sans peine le chemin qui menait à la maison de bûcheron. Depuis combien de temps n'y avait-elle pas mis les pieds ? Deux ans, à peu près. Elle laissa sa main glisser sur la porte en bois, un petit sourire apparaissant sur son visage. « Ouh Ouh ! »
La princesse sursauta en se retournant. Son sourire s'agrandit, alors qu'un hiboux qu'elle connaissait bien venait de se poser sur une branche, non loin d'elle. Elle s'en approcha en deux petites enjambées sautillantes, et passa sa main dans les petites plumes duveteuses du crâne du rapace.

- Aurore : Coucou toi ! Ça fait longtemps dis-moi.

L'oiseau de proie lui répondit par quelques hululements excités, avant de s'envoler pour la pousser vers l'avant. Elle se laissa entraîner en riant jusqu'à la petit clairière, celle-là même où elle avait rencontrée Philippe pour la première fois sans même le savoir. Quelques petits écureuils vinrent pointer le bout de leur nez en reconnaissant la voix de leur douce amie. Aurore les retrouva avec joie. C'est que ça faisait un bien, un peu de calme et d'insouciance ! La blonde eut même la chance de découvrir deux petits nouveaux ; une biche et son faon. Elle s'approcha lentement en leur chantant une douce mélodie. Les oreilles de la biche se dressèrent soudainement, ses yeux scrutant quelques lointaines ombres dans la forêt. Aurore se releva et épousseta sa cape sans se départir de son sourire. Qui était-ce ? Son beau Philippe l'avait-il suivit jusqu'ici ?

- Aurore : Philippe, est-ce toi ?

Mais rien ne répondit à la princesse qui, tout en posant la question, avait préparé une boule de neige pour son amant. Elle fronça légèrement les sourcils en observant les fourrés. Philippe essayait-il de lui faire une farce ? Ah moins, bien sûr, que ce ne soit pas lui.

- Aurore : Qui est là ? demanda-t-elle finalement d'un ton un peu plus prudent.

Une botte s’enfonça dans la poudreuse blanche avec le craquement caractéristique de la neige qui se tasse sous des pas. Le propriétaire de la botte s’arrêta et s’accroupit, examinant des traces au sol qui le précédaient. Son crochet scintilla brièvement au soleil avant de caresser la couche immaculée qui le recouvrait, amassant au passage quelques flocons qu’il porta à hauteur de son regard. Il observa quelques secondes la neige fondre peu à peu sur le métal argenté avant de secouer le crochet et de l’essuyer rapidement sur son manteau en se relevant, une grimace de dégoût sur les lèvres. De la neige. Le capitaine détestait, abhorrait la neige. Amoureux des îles chaudes et ensoleillées aux mille couleurs, où le rhum coulait et les femmes se dévêtaient, il regardait avec horreur cette matière pâle et glaciale qui détruisait toute forme de vie sur son passage et volait tout paysage de leurs plus belles carnations. De manière générale, rien ne valait pour lui les eaux claires et tumultueuses de la mer qui caressaient la coque de son navire. Certes, techniquement, la neige n’était rien d’autre que de l’eau glacée, mais là était toute la différence : le pirate n’avait jamais été très friand du froid.

Ah, mais la neige avait au moins un mérite qu’il ne pouvait lui nier : grâce à elle, traquer une personne relevait du jeu d’enfant. Killian Jones n’était peut-être pas un chasseur, mais il savait distinguer des empreintes de biche de traces humaines. Et les marques qui se présentaient à lui n’étaient certainement pas animales. Sa proie était proche. Il se remit rapidement en route, pressé de quitter cette forêt. Car il n’était certainement pas venu dans un tel endroit sans une idée derrière la tête, et comme tout ce qu’il faisait depuis plus de trois cent ans, elle n’était motivée que par une chose : sa vengeance. Peu importe le temps que cela lui prendrait, il ferait payer le Crocodile pour ce qu’il avait fait. Il le ferait souffrir comme il avait souffert. Oui, il aurait sa revanche, à n’importe quel prix. Ce prix, présentement, c’était le destin d’une certaine princesse. Un destin qu’il s’apprêtait, sinon à détruire, au moins à entâcher. Il n’avait rien contre elle, à titre personnel. Elle n’était qu’un outil. Une monnaie d’échange. Rien de plus. On lui avait offert des informations sur son ennemi juré, mais en échange desquelles il devait livrer la princesse. Aurore, de son prénom. Et Hook était un pirate. Il n’avait pas peur de se salir les mains, surtout pas lorsque le jeu en valait la chandelle. Or, sa soif de vengeance était telle qu’elle justifiait les pires actes, pour lui. Non pas qu’il eût jamais été un enfant de chœur, mais il n’était au fond pas un mauvais bougre pour quiconque apprenait à le connaître. Hélas pour elle, la jeune femme se verrait bientôt obligée de différer.

Il poursuivit sa marche d’un pas rapide tandis que la neige continuait à tomber en tourbillonnant lentement, dans le silence le plus complet. Les quelques rayons du soleil filtrant à travers les conifères peinaient à élever la température ambiante et le froid se faufilait insidieusement sous le long manteau du pirate qui maudit une fois de plus ce lieu détestable. Heureusement, sa traque n'était guère longue et il ne lui fallut pas plus que quelques minutes avant de déboucher sur une clairière.
Approchant à pas de loups, il ne put s’empêcher de rouler des yeux en découvrant la scène qui s’offrait à lui : une jeune femme élégante, penchée vers une biche et son faon avec une expression de pur ravissement dessinée sur le visage. Au moins, s’il avait eu un doute quant à l’identité de la jolie blonde, celui-ci avait disparu. Cette manie qu’avaient les princesses de jouer les Mères Natures !

Par chance, elle lui tournait le dos, et ne semblait pas l’avoir entendu arriver. Il profita de sa distraction pour s’approcher, mais ce fut la biche, alertée, qui trahit sa présence en regardant dans sa direction. Hook n’eut que le temps de s’abriter derrière un arbre avant que la princesse ne se mette à chercher sa présence du regard, appelant son prince.
Il esquissa un sourire amusé. Non, il ne répondait pas au nom de Philippe, et il n’avait définitivement rien d’un prince - et il avait d’ailleurs comme dans l’idée qu’il allait bientôt se faire un ennemi, de ce Philippe… La jeune femme sembla réaliser que ce n’était peut-être pas son bien-aimé qui était embusqué dans les bois, et que son visiteur mystérieux pouvait être doté d’intentions un peu plus... hostiles. Hook en profita pour se révéler, et vif comme l’éclair, se plaça derrière la princesse, menaçant sa gorge gracile de son crochet acéré. Le moindre mouvement pouvait lui coûter cher, très cher.

« Capitaine Hook, enchanté », murmura-t-il au creux de l’oreille de la jolie blonde, répondant ainsi à la question qu’elle venait indirectement de lui poser.

Le froid matérialisa pendant quelques secondes son souffle, caressant la joue de la jeune femme, et ses lèvres dessinèrent un large sourire carnassier tandis que son crochet passait, presque délicatement, sur une mèche dorée de sa délicieuse captive. Il coula un regard sur sa silhouette – jolie poitrine, nota-t-il – et s’arrêta sur la boule de neige qu’elle tenait dans sa main.

« J’espère qu’elle ne m’était pas destinée, trésor ; il en faut un peu plus que ça pour m’arrêter… »

Son sourire s'élargit un peu plus. Soudain, la neige était la dernière des choses qu'il avait à l'esprit.

Spoiler:

Ah, les princesses. Si on passait autant de temps à les apprêter et à les préparer pour les mondanités qui allaient rythmer leur existence qu’à se défendre et à se battre, ce genre de scènes arriverait bien moins souvent. Elles étaient des proies de choix, il fallait bien le reconnaître. Ce qui, en l’occurrence, arrangeait plutôt les affaires de notre pirate – encore qu’il n’aurait pas été mécontent de rencontrer un peu plus de résistance : où était le challenge dans tout ça ? Dans d’autres circonstances, il aurait même pu penser lui faire une faveur en l’éloignant de la vie ennuyeuse faite de devoirs et de responsabilités qui l’attendait - mais les choses étant ce qu’elles étaient, elle n’avait de toute façon plus vraiment de royaume sur lequel régner.

Il devait cependant reconnaître que la jeune femme avait du charme, et il pouvait aisément comprendre ce qui en faisait une monnaie d’échange si intéressante. Peut-être même que dans un autre contexte, il aurait eu une approche différente, plus… subtile, et au diable le prince. D’une façon ou d’une autre, et contrairement à ce que son large sourire laissait penser, il ne prenait pas vraiment plaisir à ce qu’il s’apprêtait à faire. Il aimait à se considérer comme un gentleman auprès de la gent féminine, et malgré son attitude de séducteur et ses nombreux sous-entendus souvent à peine déguisés, il n’était pas le goujat qu’on aurait pu penser – en vérité, il s’était montré plus respectueux envers bon nombre de femmes que ne l’étaient avec elles leurs propres maris. Il avait simplement… sa propre conception des choses. C’était un pirate après tout.

Hélas pour elle, la princesse allait bientôt se retrouver auprès d’un homme qui considérait qu’une femme pouvait se vendre en échange d’informations : autant dire que l’homme en question avait sans nul doute sa propre définition du respect, et qu’elle était encore à mille lieues de celle qu’avait Hook. En somme, si à ce moment elle trouvait le pirate odieux, elle allait probablement bientôt le considérer distingué, à titre de comparaison.

Il avait d’ailleurs craint pendant quelques secondes qu’elle ne fasse quelque chose d’idiot, comme crier, ou se débattre, mais elle eut le bon sens de se figer immédiatement au contact du crochet et lâcha la boule de neige après quelques secondes de stupeur.

« Je n'ai rien qui puisse vous intéresser. Je n'ai pas d'or sur moi, pas d'objets de val... »

Bien tenté, cela aurait presque pu marcher. S’il avait été effectivement intéressé par son or. Pas de chances pour elle, elle était tombée sur le seul pirate qui était moins attiré par ce qui brillait que par sa vengeance. Il n’y avait qu’une façon de l’acheter, et ce n’était pas en pièces sonnantes. Il savait de plus qu’elle ne mentait pas : son royaume n’existait plus, et elle n’avait plus de princesse que le titre. On ne règne pas sans sujets, après tout. Elle ne bluffait donc pas ; et ce n’était certainement pas son diadème qui lui sauverait la vie, eut-elle été prête à le céder (non pas qu’il lui en eût laissé le choix de toute façon). En revanche, elle pouvait s’estimer heureuse : d’autres personnes que lui auraient pu profiter d’elle d’une autre façon avant de la remettre entre d’autres mains.

Luttant pour garder contenance, la demoiselle tenta une autre approche, qui se voulait cette fois plus menaçante.

« Que me voulez-vous ? Je suis la princesse Aurore, et je vous assure que si vous ne me laissez par tranquille, le prince Philippe vous le fera regretter ! »

Le sourire de Hook s’élargit tandis qu’il désignait de sa main vacante les environs complètement déserts, la forçant à constater ce qu’ils savaient tous deux déjà : qu’ils étaient seuls.

« Ah, mais j’ai bien peur que votre cher et tendre ne soit pas là pour vous venir en aide, princesse. Et, hélas pour vous, ce n’est pas de votre or dont j’ai besoin, mais de vous-même. A présent, pas un geste, ou vous le regretterez amèrement. »

Avant même qu’elle ne puisse réagir, son crochet quitta son cou pour glisser sur son bras tandis qu’il ramenait ses deux mains en arrière et les nouait ensemble à l’aide d’un foulard avec une dextérité et une rapidité plutôt remarquable pour un homme qui possédait un crochet à la place de sa main gauche. Il testa la solidité des nœuds, les serrant suffisamment pour qu’elle ne puisse s’en extraire, mais pas assez pour couper sa circulation sanguine. Probable que ce n’était pas ce genre d’attentions qui lui donneraient une meilleure idée du capitaine – qui ne se souciait pas vraiment de ce qu’elle pouvait bien penser de lui de toute façon – mais ce n’était pas une raison pour la maltraiter non plus.

« Brave enfant », approuva-t-il après l’avoir relâchée, se plaçant pour la première fois devant elle.

Il s’empara de son menton d’une main, examinant de plus près son visage, et murmura, comme pour lui-même :

« Quel dommage, un si joli minois… Mais les affaires sont les affaires, je suppose… »

Se reprenant rapidement, il s’écarta à nouveau, puis la poussa légèrement en avant pour lui faire signe d’avancer tandis que lui-même se remettait en marche sans la quitter du regard.

« Je vous déconseille de crier. En fait, je vous déconseille de faire quoique ce soit, vous n’iriez pas bien loin de toute façon. Je dois vous livrer vivante, mais aucun engagement ne me force à vous livrer entière… »

S’assurant que le message était bien passé, il ponctua ses paroles d’un nouveau sourire mielleux, comme s’il venait de lui dire quelque chose de parfaitement naturel en parlant de la pluie ou du beau temps. Il n’avait pas vraiment envie de lui arracher la langue, et elle semblait suffisamment intelligente pour éviter de faire ce genre d’erreurs. Il aurait probablement pu la bâillonner, mais pour être honnête, il ne craignait pas vraiment grand-chose ; ils étaient au milieu de nulle-part et à en croire l’épaisseur de la forêt, il y avait peu de chances pour que qui que ce soit dans les environs l’entende ; il avait donc bien envie de la tester. Après tout, elle pouvait encore le surprendre.

Spoiler: